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Honoré de BALZAC: Pierre Grassou

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Pierre Grassou, dit Fougères, est un peintre mediocre qui, à force de patience et d’un travail acharné, a su réussir à la fin de la Restauration et sous la Monarchie de juillet, un petit talent, barbouilleur de toiles qui ont fait leur effet, jusqu’à la Cour, inspirées des peintres anciens. Pendant des années, Grassou a survécu en revendant ses toiles à un prix modique, à un marchand malhonnête, Elias Magus, qui a su mettre à profit son talent imité des Rembrandt, Titien, etc. Un jour, Magus surgit dans l’atelier, introduisant un certain M.Vervelle, un bourgeois entiché d’art, qui voudrait faire faire son portrait et celui de sa famille…

Cette courte nouvelle est de ces récits pleins d’espièglerie, qu’on trouve ici ou là au détour du colossal ensemble de La Comédie humaine. A travers le portrait de Pierre Grassou, un peintre honnête, mais sans talent, qui sait cependant reconnaître son manque de génie, mais finit par trouver une clientèle auprès des bons bourgeois de la Monarchie de juillet, Balzac se livre à la satire des rapports de la bourgeoisie et de l’art. Pour l’occasion, Balzac se fait peintre lui-même, montrant au passage son talent à croquer rapidement un lieu, une caricature. Il y a du Daumier dans le portrait « potager » qu’il donne de la famille Vervelle: Monsieur, une sorte de melon couronnant un ventre de citrouille vêtue de drap bleu, Madame, « une noix de coco surmontée d’une tête et serrée par une ceinture », leur asperge de fille au cheveu jaune-carotte!

Tout le long du récit, Balzac prépare la chute. On anticipe ce qu’Elias Magus a pu faire des tableaux de Grassou. On s’inquiète un peu en apprenant que M.Vervelle a constitué l’essentiel de sa collection de maîtres anciens auprès du marchand malhonnête. La fin heureuse, qui ne sera pas celle qu’on aurait pu craindre, lorsque M.Vervelle finit par découvrir le pot aux roses, vaut à elle seule comme un commentaire de la médiocrité des temps. Des temps égalisateurs, confondant dans la même soupe bourgeoise le prestige que l’art donne et la recherche du vrai talent, incapables de reconnaître les vrais artistes de génie, tel Joseph Bridau, le grand peintre de La Comédie humaine, inspiré de Delacroix, ne convoitant la possession des oeuvres d’art et la proximité des artistes que pour ce supplément d’âme que donne l’art à ceux qui n’ont que la fortune pour s’illustrer. Pourtant, derrière la grande farce d’un temps dominé par l’argent et la dévaluation des valeurs culturelles que cette domination produit, il reste une place pour l’authentique recherche artistique, une recherche hélas sortie pour ainsi dire de la scène centrale de la société moderne, condamnée peut-être à devenir une activité incomprise. Marié à la grande asperge, reconnu, décoré et riche, Pierre Grassou n’échappera pas à la malédiction du demi-artiste, qui sait reconnaître son manque de talent, est fêté par la société, mais n’est pas reconnu par les siens.

Cette nouvelle a été lue dans le cadre d’une LC avec Maggie. Prochaines LC: Le Bal de Sceaux (27 avril); Melmoth réconcilié (23 mai).


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